Débats sur le Perspectivisme

Débats sur le Perspectivisme

Séminaire du programme Mondes de la Colonialité et TransModernités – MCTM Réseau de recherche international (FMSH-LC2S/PHEEAC)

By Fondation Maison des Sciences de l'Homme

Date and time

Thursday, December 12 · 1 - 5pm CET

Location

Fondation Maison des sciences de l'homme (FMSH)

54 Boulevard Raspail 75006 Paris France

About this event

  • Event lasts 4 hours

Débats sur le Perspectivisme : une réflexion sur l'Altérité et la Justice Épistémique

Ce séminaire propose de présenter et de discuter la notion de « perspectivisme » et son évolution au croisement des champs anthropologique et philosophique. Devenue un concept central de l’anthropologie contemporaine, notamment avec les contributions d’Eduardo Viveiros de Castro sur le perspectivisme amazonien, cette notion s'est imposée au cœur des débats de la pensée décoloniale. Toutefois, sa place dominante dans le discours académique soulève des questions critiques autour de la justice épistémique : les usages du concept s’accompagnent de débats épistémologiques et politiques, notamment sur l'utilisation des savoirs indigènes dans le cadre académique. En ce sens, le séminaire se propose d'explorer ces dynamiques de traduction et de transfert théorique entre philosophie et anthropologie, en mettant en lumière les risques potentiels de violence épistémique liés à la traduction et l'appropriation des expériences et des savoirs autochtones dans les termes des catégories occidentales. Il s’agit en fait d’explorer les possibilités de sortir de la fonction de « représentation » tenue comme un universel humain par la pensée occidentale qui serait seule à pouvoir discerner les différentes manières de donner sens au monde. Parler depuis l’intérieur d’une « cosmogonie » (non occidentale) qui ne « représenterait » pas le monde d’un point de vue humain mais depuis un ensemble de perspectives étrangères à cette localisation de l’esprit humain est-elle possible si cette restitution s’offre au travers de discours dont la compréhension reste dépendante d’une position extérieure à ces cosmogonies et intérieure au champ philosophique qui nous est familier ?

Programme

13h : Accueil et Introduction par Christine Chivallon Directrice de Recherche CNRS/MCTM et Esteban Gonzalez MCTM et chercheur associé au LLCP, Université de Paris 8

Modératrice : Christine Chivallon, (CNRS-MCTM)

13h30 – 14h15 : À propos des « perspectivismes ».

Camille Chamois, philosophe, Université Libre de Bruxelles

La notion de « perspectivisme » constitue désormais un lieu commun de l’anthropologie sociale, bien au-delà de ce qu’on a nommé le « tournant ontologique de l’anthropologie ». La notion sert désormais tantôt à désigner un type de cosmologie, caractéristique (entre autres) de certaines populations amazoniennes (et considérée comme une sous-catégorie de l’« animisme ») ; tantôt, elle renvoie à un certain modèle philosophique qui envisage les êtres comme des « points de vue » sur le monde (et peut à ce titre être assimilée à ce qu’on nomme les théories « monadologiques » ou « panpsychistes ») ; tantôt encore, elle désigne un modèle de réforme épistémologique de l’anthropologie elle-même (qu’on appelle parfois « contre-anthropologie »). Ce faisant, cependant, il n’est pas sûr que la notion y ait gagné en précision : au contraire, il semble qu’un simple effet d’homonymie lie désormais entre elles les différentes théories qui revendiquent cette appellation. Or, ce flou définitionnel est particulièrement préjudiciable dans la mesure où chacun des usages de la notion de « perspectivisme » entraîne avec lui son lot de débats, voire de polémiques, à la fois épistémologiques et politiques. On a ainsi pu reprocher aux ethnologues qui, dans les années 1990, ont identifié un « animisme » ou un « multinaturalisme » amazonien d’avoir, sur le plan épistémologique, généralisé abusivement un trope en réalité mineur et secondaire au sein des cosmologies locales ; et, ce faisant, de participer, sur le plan politique, à une ventriloquie des populations autochtones en développant un imaginaire profondément exotisant et faussement décolonial. Retracer l’histoire récente des usages de la notion de « perspectivisme » permet ainsi d’interroger les modalités d’articulation entre les prétentions à l’objectivité théorique, entendue comme une exigence scientifique, et les problèmes de justice épistémique, entendus comme une exigence démocratique. Le but de cette intervention est d’apporter quelques éclairages sur les usages de la notion de « perspectivisme » dans le champ contemporain. J’insisterai notamment sur les phénomènes de transfert ou de traduction entre les corpus ethnologiques et philosophiques et sur les points qui, à cet égard, me semblent devoir faire l’objet d’un vigilance épistémique particulière.

14h15-15h : Discussion

Discutant : Frédéric Monferrand, MCF en philosophie à Paris 1 Panthéon Sorbonne (ISJPS/NoSoPhi)

15h-15h30 : Pause

15h30-16h15 : Perspectivisme, justice épistémique et pensée décoloniale

Esteban Gonzalez, Philosophe, membre de MCTM et chercheur associé au LLCP, Université de Paris 8

De Nietzsche à Merleau-Ponty, la philosophie occidentale a longuement exploré, par la notion de « perspectivisme » l’idée que toute conscience humaine est, par essence, interprétative et perceptive. Ce concept, profondément enraciné dans la tradition européenne, a récemment pris une nouvelle dimension dans l’anthropologie contemporaine, notamment à travers le « perspectivisme amérindien » théorisé par Eduardo Viveiros de Castro en tant que clé pour interpréter les cosmologies amérindiennes en insistant sur la multiplicité des perspectives dans un monde partagé. Néanmoins, cette appropriation anthropologique du perspectivisme soulève des questions fondamentales. Peut-on vraiment préserver l'altérité et son expérience de l’intrusion du fétichisme des catégories culturelles occidentales ou risquons-nous, au contraire, de les subsumer dans un cadre théorique universalisant ? Cette tension met en lumière un enjeu crucial pour la pensée décoloniale: comment éviter la réification des formes de vie non-occidentales et échapper aux formes classiques de violence épistémique, où « l’Autre » est toujours interprété à travers les prismes du « Même » ?

Au-delà des enjeux épistémologiques, le débat sur le perspectivisme revêt également une dimension politique. La valorisation des ontologies indigènes, si bien intentionnée soit-elle, risque de perpétuer des formes de violence épistémique et d’extractivisme épistémologique, en contribuant à une marchandisation des savoirs autochtones dans les circuits académiques globaux. Cela interroge profondément la représentation des voix indigènes dans les discours scientifiques : dans quelle mesure ces théories dites décoloniales permettent-elles l’émergence de véritables contre-discours (contre-anthropologies) issus des communautés concernées, au lieu de se contenter de réinterpréter leurs cosmologies à travers des prismes conceptuels occidentaux et se les approprier en tant que marchandise académique ?

16h15-17h: Discussion

Discutant : Matthieu Renault, Professeur Université Toulouse – Jean Jaurès, membre de l’Équipe de Recherche sur les Rationalités Philosophiques et les Savoirs (ERRaPhiS).

Le Comptoir
1er étage de la FMSH
54 bd Raspail, Paris 6

Organized by

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